Extraits

Extrait inédit de « Tous Ego »
Je vous présente Anna Kowalski…

      A quelques pas de l’appartement qu’il habitait, et qui lui avait été gracieusement prêté par son père, le temps qu’il se fasse une situation, un deux pièces de plus de cinquante mètres carrés sur le boulevard Saint-Michel, se trouvait une librairie où il faisait le plein de façon quasi-hebdomadaire.

1389373176
Cette librairie, qui s’appelait « Le canard au feuilles », en référence aux origines de ce commerce qui fut tout d’abord un point-presse exhaustif, puis un restaurant de spécialités périgourdines avant d’être racheté par une grande chaîne de librairies, celle-là donc était tenue par une seule personne, une femme au physique agréable et autoritaire, sans doute quadragénaire, qui s’occupait de tout, des livraisons, des commandes, de la mise en gondoles, des dispositions en vitrine, et surtout du choix des livres.

Elle régnait sur son lieu, en connaissant le moindre rayon, bien que la surface dût largement dépasser les deux cents mètres carrés, et le nombre de livres dépasser le millier. Cette femme d’un mètre soixante-cinq, à peu près, au corps svelte, léger et musculeux, tout au moins au regard de ses mollets, qu’elle laissait toujours paraître, hiver comme été, sous une jupe qui lui couvrait les genoux, portait toujours des escarpins noirs de formes différentes, et en général,
un chemisier échancré mais respectablement pudique.

Elle devait avoir de longs cheveux raides, mais comme elle les assemblait en un chignon strict, personne ne le sut ni ne les vit jamais. Le nez aquilin, les lèvres presque inexistantes, ce qui lui donnait un air pincé, son visage renvoyait pourtant un sentiment d’amabilité, de bonhomie, principalement par le biais de son regard amusé, que l’on percevait immédiatement comme intelligent, composé de deux agates turquoises aux contours noirs.

Edouard-John-MenthaFemme-de-chambre-lisant-dans-la-bibliothèque
Tous les livres présents dans sa librairie avaient été lus, résumés, compulsés par elle au moins deux fois. Elle rédigeait aussi, sur de petits cartons bristolés, des critiques brèves et personnelles, dans un style laconique et si parlant que, bien souvent, des journaleux en panne d’inspiration et n’ayant pas le temps de lire lui piquaient, de façon éhontée, ses remarques, ce qu’elle savait, ce qui ne la fâchait pas, voire l’indifférait totalement.

Lire un autre extrait de Tous Ego

 

Extrait de « Disent les femmes »
Le premier mois d’un couple…

          Un mois, ce n’est pas très long. Et même, généralement, le premier mois d’une relation abrite les instants les plus précieux, les plus intenses ; je dis généralement car le cynisme avec lequel j’appréhendais chacune de mes relations en accélérait dramatiquement le cycle, et ce qui pouvait prendre plusieurs années à un couple établi, se trouvait compressé à quelques mois, tout au plus un semestre, par mon édifiante ironie sur les choses et les gens.

Cela dura certes près de six mois, mais ce furent six mois de ma temporalité,
six mois longs, riches, sans doute trop longs et trop riches… épuisants… mais revenons au début, au début de la fin ; ce premier soir fut donc platonique, asexué, bien plus par principe que par manque de désir réciproque, et cette courte abstinence se trouva rapidement ridiculisée le lendemain, dans son appartement, où, à peine arrivé, je fus déshabillé en l’espace d’un clignement d’œil, puis caressé, puis aspiré, puis rendant la pareille, puis consommé pour recommencer de plus belle, encore et encore plus chaleureusement ; par la suite, nous avons partagé une collation qu’elle avait préparée pendant que j’examinais sa triste bibliothèque bien sèche, pondérée d’ouvrages classiques, ceux que l’on étudie au lycée et qui ne peuvent avoir d’autre sens que dans et par l’analyse littéraire ; il n’y avait qu’un seul rayon qui me semblait digne d’intérêt, il se composait de romans en langue créole, traitant de la vie quotidienne, des problèmes et des bonheurs d’une partie de Martiniquais – ce dont elle était très fière, c’était de se retrouver, et de retrouver les stigmates sociaux de sa vie d’avant, quand Elle y habitait encore. Elle avait alors achevé la préparation de son plat, un subtil mélange, savamment maîtrisé, d’épices, de poulet, et de quelques autres aliments aux vertus revigorantes qui nous inspirèrent beaucoup pour la nuit qui suivit.

J’ai un souvenir très net de mon réveil d’alors ; tout était différent de ma quotidienneté habituelle, les odeurs ne m’étaient pas reconnaissables, je ne pouvais pas encore identifier, les yeux encore clos par une fatigue de bon aloi, la fragrance sucrée de son foutre mêlé au mien, de nos sudations partagées ; je savais avec qui j’avais passé la nuit, mais je n’étais pas encore en mesure d’apposer un visage précis à cette multitude de souvenirs en images de lèvres libidineuses, de mains curieuses et assurées, de cuisses embrassées et souillées… lorsque, finalement, j’ouvris les yeux, elle se levait, me laissant entrevoir deux minuscules rayons de pupilles noires bientôt redevenus, sous l’effet du maquillage matinal, deux beaux yeux noirs félins. J’étais donc avec Elle. Qui me servit mon café au lit. Qui m’embrassa et me sourit. Qui s’occupa de moi dès lors et fort bien. Qui s’enquerra  de mon programme de la journée et m’en proposa un autre que je déclinai. Qui me fit promettre de ne pas la prendre pour une conne. Qui avait un drôle de regard insistant et sourieur. Que je quittais, soulagé.

 

Extrait « Les guerriers sont au repos »
Une femme troublante…

       La porte s’ouvrit violemment et offrit à Allan un spectacle qu’il n’oublia jamais : derrière son ami, vêtu seulement d’un caleçon, Svetlana, les bras étendus sur le canapé comme si elle tenait à signifier que tout ce qu’elle touchait ici lui appartenait, affichait avec insolence sa nudité provocante ; ses seins, larges et lourds, étaient une invitation obscène et tentante, et ses longues jambes, croisées nonchalamment, étaient si longues qu’elles offraient le spectacle de la naissance de son pubis, serré contre ses cuisses laiteuses ; le regard d’Allan revint sur son ami, dont le visage était marqué par le manque de sommeil, ses lèvres étaient comme tuméfiées alors qu’habituellement elles étaient plus claires que son visage pourtant pâle, ses cheveux ébouriffés lui donnait un air ahuri que le représentant de la liberté sociale n’affichait jamais ; de ses yeux rougis par la fatigue, il scruta Allan, attendant manifestement une explication.

 svet-cuis

–              Tu as quelques instants à me consacrer ?,
demanda-t-il alors, feignant détachement et indifférence envers celle qui n’avait pas provoqué que cela chez lui.

–              Qu’est-ce que tu veux ?, répondit sèchement Nicholas qui n’était pas plus gêné que ne l’était Svetlana.

–              Nous nous faisons du souci, c’est tout !

–              Je ne suis pas malheureux comme tu peux voir, personne ne m’a kidnappé, et on peut dire que je suis moins malheureux que beaucoup de gens…

Il avait prononcé cette dernière phrase en se retournant vers Svetlana, qui lui répondit par un large sourire et en bombant le torse qu’elle avait déjà naturellement saillant. Toute cette scène se déroulait dans une impudeur totale, Allan et Svetlana se toisant du regard, et Nicholas défiant Allan.

Se levant tout à coup, la belle roumaine exhiba sa nudité avec une maligne ingéniosité, et comme si de rien n ‘était, proposa :

 svet-cuis2

  – Je vous fais un café, les deux amis ?

Puis sans attendre de réponse, elle se dirigea vers la cuisine, et montra les deux melons fermes de ses fesses pendant que sa démarche indolente faisait balancer ses seins.

Mais Allan tourna les talons sans même jeter un coup d’œil significatif à Nicholas, tentant par là d’éviter ce qu’il savait pourtant inévitable : sa confrontation avec Svetlana.
Cette femme était une tentatrice par vocation, un serpent tombé de loin, et il lui fallait le contourner le plus longtemps possible. A commencer par maintenant, cet instant même où il dévalait les escaliers, laissant derrière lui un ami ahuri et sa petite amie amusée. Une porte claqua et des rires fusèrent.

Lire le roman 

 

Extrait de « Télépathie »
Marjolaine Duschamp,
une femme d’exception…

           J’eus de la chance, je fis la rencontre qu’il me fallait : Marjolaine Duchamp. Au premier abord, Marjolaine ressemblait à l’image d’Epinal de la belle des champs, elle était blonde comme les blés, légèrement rondelette, et portait une ample robe aux motifs fleuris ; ses petits doigts replets manipulaient avec une précaution exagérée sa tasse de thé, et son regard flottait innocemment sur la foule bigarrée parisienne à laquelle elle semblait étrangère ; elle incarnait la paysanne fraîchement débarquée de sa campagne à la capitale. Plus de trois semaines s’étaient écoulées depuis le presque-homicide de Max, et je n’avais pratiqué le don qu’à de rares occasions, que je m’étais évertué à diminuer encore ; il me fallait le reconquérir, et Marjolaine s’avéra la proie idéale.

Si le don m’avait échappé, sa pratique ne m’était pas étrangère, et il me fut aisé de créer à nouveau un lien entre moi et Marjolaine. Intriguée par toute l’agitation de la place de la Bastille, Marjolaine levait les yeux fréquemment et perçut mon regard insistant au bout de quelques secondes seulement. L’activation  commença alors.

paysanne

La première image de sa télépathie fut celle d’un vieux bonhomme au visage buriné et marqué par des rides laborieuses, ces rides qui sillonnent la peau pour y laisser la marque des efforts, un vieux bonhomme au crâne parsemé de touffes de cheveux d’un gris sale, assis lourdement au fond d’un vieux fauteuil. Son père, bien sûr. Est-il nécessaire de préciser que, pour la plus large majorité des femmes, le père n’est pas loin de représenter l’homme idéal, quel que soit le père, finalement, et conséquemment l’insoluble imperfection de tous les amoureux… ? Le père de Marjolaine avait travaillé toute sa vie durant, depuis ses huit ans, où, le jour de son anniversaire, il n’avait pas reçu, comme d’habitude, une orange en cadeau, mais une fourche (sic) avec laquelle il aida son père le jour même, à donner du foin aux animaux de leur ferme dans le Lot ; et depuis lors, il n’y eut aucun jour où le brave Marcus ne travaillât point ; il s’accorda une demi-journée pour enterrer son père, une autre quelques mois plus tard pour enterrer sa mère, il s’autorisa aussi une journée entière pour emmener sa toute fraîche épouse, Marguerite (forcément), en visite organisée à Paris ; ils avaient fait la visite la plus complète possible en moins de temps possible ; Marcus refusait les voyages, et cette journée représenta symboliquement le voyage de noces d’un paysan casanier qui céda à sa femme un seul caprice ; donc, en un jour, de 11h à 17h, heures d’aller et retour sur le Lot, ils visitèrent donc la Tour Eiffel, les Invalides, la Concorde, la place Vendôme, la place de l’Etoile, l’Arc de Triomphe, le périphérique, et le retour à la gare. Il ne prononça pas un mot de tout le « voyage de noces », et puis de toute façon, il avait dû prononcer en tout et pour tout une centaine de mots entre ses huit ans et sa soixante-quatrième année ; l’homme était simple, robuste et bourru ; Marguerite aussi était simple et était passée, sans moufeter, de la tutelle de son père à celle de Marcus, pour qui elle avait cuisiné tous les jours de sa vie le même plat à midi et le soir, le même hachis Parmentier, préparé avec les pommes de terre du jardin. Marcus rentrait chez lui pour manger et dormir, et avait quelquefois pénétré sa femme, comme il l’avait toujours vu faire par les taureaux sur les femelles ; le jour de l’accouchement et de la venue au monde de Marjolaine représenta d’ailleurs le seul jour où Marcus ne mangea pas son hachis Parmentier, mais un sandwich à la cafétéria de la clinique – pour autant, il n’en voulut pas à sa fille, qu’il célébra à sa manière en rebaptisant sa ferme de son prénom ; pour le reste de son éducation, il se contenta de dire le plus souvent « non », plus rarement « oui ».
Marjolaine grandit entourée de ses seuls parents, des vaches, des moutons, des poules, des lapins et du foin et découvrit à six ans les vertus de la sociabilité au sein de l’école maternelle départementale ; les études lui plaisaient, elle les prolongea au-delà du CAP, puis au-delà du bac, puis, à l’obtention de son BTS, son père intervint, peut-être pour la troisième fois dans la vie de Marjolaine, par un « non » tonitruant qui donna à sa fille une idée précise de ce à quoi son père la destinait. Mais la petite paysanne aimait ce refuge du Lot, elle s’y reposait de toutes les tensions sociales, de la fatigue des longs trajets qu’elle assumait quotidiennement entre son village et Agen, elle y aimait la simplicité rude des relations. Et pourtant, malgré tout ce fondement serein, il régnait en Marjolaine une aspiration paradoxale, une sorte de schizophrénie assumée et insolemment amusée ; sa soupape à elle, sa méthode pour évacuer le sexe, c’étaient les hommes ; elle en avait découvert les vertus bien plus tôt que ses parents ne pourraient seulement l’imaginer, lorsqu’un homme d’une trentaine d’années avait aimé cette jeune gourgandine et lui avait proposé de l’y initier malgré les interdits liés à leur âge ; elle avait par la suite vu sa poitrine pousser, et les regards des camarades du collège et du lycée, les grands, changer de nature ; le trentenaire obtint d’elle ce qu’il recherchait puis elle ne le vit plus jamais ; c’est pourquoi, à l’instar de son modèle paternel, la tendresse masculine fut étrangère à la vie de la paysanne. A toutes les propositions, et à tous les types de proposition, Marjolaine répondait inévitablement par un « oui » qui arrangeait bien les deux parties ; en conséquence de quoi elle apprit très jeune la nature des hommes ; Marjolaine ressemblait à une paysanne, le savait, mais possédait une âme de courtisane, elle choisissait celui, ou ceux, à qui elle dirait « oui »…

Lire un autre extrait de Télépathie